Critique Littéraire : « Les Chroniques de l’oiseau à ressort », un plaisir en demi-teinte

La sculture se nomme Oliver, The Mechanical Birdie, 2009 Kimerly Hart, par MonsterKookies.com
Que dire des Chroniques de l’oiseau à ressort ? Roman du gigantesque Haruki Murakami (ici traduit par Karine Chesneau et Corinne Atlan) qui mêle noirceur, mélancolie, onirisme et sensualité dans une grande partie de son œuvre. Plus que tout cela, ce qui marque chez cet auteur, c’est son art de nous faire attendre, de nous plonger dans ces atmosphères d’ennui prospectif où la vie même se transforme en une contemplation lascive. Comme dans plusieurs de ses livres, il déploie ici son art du récit surréaliste, mêlant réel et irréel pour perdre le lecteur.
Nous suivons Toru Okada, narrateur et héros de l’histoire qui souhaite comprendre la mystérieuse disparition de sa femme. Pour se faire, il se lance dans une quête introspective pendant laquelle il fait d’étranges rencontres et développe un lien particulier avec le monde des rêves. Plus le temps passe et plus la frontière entre les deux univers devient floue. Ne vous attendez donc pas à un déroulé logique. Murakami nous invite à plonger dans une nuit noire, sans aprioris, pour nous laisser bercer par le flot du récit. Les événements et personnages que nous rencontrons en chemins apparaissent tantôt comme des camarades de voyage, tantôt comme des guides irréels, rouages assumés du récit. Qu’importe la raison, seule compte l’introspection du héros et notre capacité à plonger avec lui dans les abysses.
Si l’on se laisse si facilement entraîner, c’est grâce aux talents de Murakami qui excelle dans l’art de la description. En virtuose, il sait peindre l’insignifiant pour exacerber l’émotion. Murakami raconte, il fait ressentir. Ainsi, les phases descriptives sont souvent teintées d’un sous texte intime à même de provoquer de profonds vertiges esthétiques. Par de nombreux détails sensoriels et psychologiques, l’auteur rend organique chaque scène du récit. Si bien qu’on accepte la vraisemblance des personnages malgré l’incohérence des situations. Ci-dessous, vous trouverez le genre de réaction qu’on peut rencontrer au cours de la lecture :
- Le héros va méditer seul pendant un mois dans un puits ? Quelle bonne idée ! Je tenterais bien à l’occasion.
- Ah ! Une voyante sexy avec un chapeau en plastique ? Intéressant, il semble qu’elle ait appris la magie à Malte.
- Oh, le héros est transporté entre les dimensions pendant qu’il fait sa brasse à la piscine municipale ? C’est parti, aventure, prend moi !
On se laisse embarquer sans difficulté et les remous du récit nous bercent tranquillement dans un monde simple et torturé (oui oui, les deux en même temps). Les symboles, coïncidences et récits croisés éveillent notre curiosité, tandis que l’accumulation de mystères nous pousse à poursuivre l’histoire. L’ensemble des éléments racontés laisse une grande place à l’interprétation, et donc à l’appropriation.
Enfin, à condition d’être réceptif au style de Murakami et à l’univers de son roman… Il existe des livres qu’il faut prendre le temps de dompter avant de les apprécier. Celui-ci n’est pas l’un d’entre eux. Si le début ne vous embarque pas, inutile de s’acharner. L’histoire est lente et parcourue d’éléments arbitraires (bien que justifiés et habilement intégrés dans le cadre de la narration). Toutes les questions posées ne trouvent pas de réponses et la conclusion est franchement tirée par les cheveux. D’ailleurs, une mauvaise langue pourrait aisément arguer que le recours au destin et à la magie masque bien mal les nombreuses facilités scénaristiques.
Pour ma part j’ai pris plaisir à parcourir les 950 pages du bouquin. L’ensemble est fluide, agréable et dépaysant. Pourtant, j’avoue ne pas conserver grand-chose des Chroniques de l’oiseau à ressort. Peut-être l’histoire n’a-t-elle simplement pas résonné en moi ? L’intrigue d’amoureuse au cœur du récit m’a paru un peu vieux jeu, voire carrément dépassée. Par ailleurs, le traitement des relations homme femme peut prêter à sourire. Malgré de nombreux personnages féminins profonds et attachants, on n’échappe pas à certains clichés tenaces allant de la demoiselle en détresse jusqu’au fantasme de la femme-objet.
En conclusion, vous trouverez dans les Chroniques de l’oiseau à ressort un ouvrage typique du Murakami de cette époque avec ses qualités et ses défauts. Il me semble néanmoins que ce roman souffre de la comparaison avec son petit frère du même auteur Kafka sur le rivage, qui, paru quelques années plus tard, améliore la formule et propose une histoire mieux construite.