Critique littéraire : Les Mémoires d’un chat

Boris22/ juillet 16, 2022/ Critiques, Publication en Vrac/ 0 comments

Quand les fragments d’une vie s’écrivent à la croisée des regards.

Les Mémoires d’un chat est un roman japonais écrit en 2012 par Hiro Arikawa, traduit par Jean-Louis De La Couronne et publié chez Acte Sud. Nous y suivons un chat et son propriétaire dans un road trip tendre et mélancolique.

Capture prise à partir de la couverture du livre en version Anglosaxonne

Certains romans se présentent comme plein de promesses et nous déçoivent finalement. C’est tout le contraire de celui-ci ! Derrière un concept qui paraît d’abord futile, mignon et un peu gaga, le livre nous entraîne dans une quête émouvante qui englobe et saisit pêle-mêle les questions de la famille, du deuil et de l’amour.

Comme le titre du roman l’indique, une bonne partie de l’histoire nous est narrée à la première personne par… un chat ! Et pas n’importe lequel : Nana, ancien chat de gouttière et fidèle compagnon de l’humain Satoru qu’il a choisi comme maître. Le regard anthropomorphisé de cette petite boule de poils offre un angle d’observation original des problèmes des personnages. Muet aux yeux des humains, Nana nous régale de ses pensées, appréciations et commentaires. La simplicité de ses principes et la finesse de son instinct nous permettent de cerner rapidement l’enjeu des situations. Les animaux de compagnie discutent par ailleurs entre eux, nous révélant ainsi l’intimité de leurs maîtres. L’autre part du roman est contée par des personnages humains.

L’histoire commence alors que Satoru annonce à Nana ne plus pouvoir le garder. Ainsi, ils partent tous deux en quête d’un nouveau propriétaire. C’est le début d’une quête qui les mènera d’un bout à l’autre du Japon. Au cours de ce voyage, le duo rend visite à de vieux amis de Satoru, tous volontaires pour prendre soin de son chat. Les personnages rencontrés d’un chapitre à l’autre nous émeuvent par leurs drames, leurs joies, leurs réussites et leurs échecs. À chaque visite s’accole une intrigue banale et touchante, de sorte que l’on peut aisément se reconnaitre dans chacune de ces histoires. Or, la structure narrative du roman est magnifiée par un parti pris original : les rencontres ne sont pas racontées par Nana ou son maître, mais par leurs hôtes. Cela nous permet de découvrir ces personnages de l’intérieur, d’accéder directement à leurs souvenirs et pensées les plus profondes.

Un beau voyage donc où les trajectoires croisées des divers personnages nous plongent au cœur de situations tragiques, drôles, attendrissantes… mais toujours avec tendresse et les yeux embués d’une criante humanité. Par fragment, nous entrons dans la vie de ces inconnus, nous apprenons sur leur enfance, leur adolescence et leurs problèmes d’adultes. Or, tous ne sont reliés que par une seule personne : Satoru. Souvenirs après souvenirs, on découvre son attachante personnalité. Dans les yeux de tous ces autres, il prend forme, se donne à voir et se découvre. Et finalement, en recollant les morceaux de toutes ces vies, il apparaît, devient comme un ami que l’on a connu, perdu de vu, puis retrouvé des années plus tard. Il se présente ainsi devant nous, complet, matériel, humain, avec sa consistance, mais aussi ses vides, ses absences dans nos mémoires. Le livre a beau nous donner la sensation de connaître Satoru, il conservera toujours une part de mystère. Le roman n’entre jamais dans sa psyché et nous ne suivons finalement qu’une courte période de sa vie. Une période pleine de rencontres, une période qui ravive de nombreux souvenirs, mais toujours une période courte, une photographie virtuose, mais figée, à l’image de nos mémoires dès lors qu’elles tentent de dessiner les contours d’un ami lointain.

Le roman nous interroge, nous présente sans ambages une réalité simple, mais peu intellectualisée. Il met en évidence la différence de proximité ressentie envers un personnage auquel nous nous identifions et celle que l’on éprouve envers un proche ou un ami. Jamais nous n’aurons d’un être aimé une connaissance aussi précise qu’avec un personnage de roman. Car, en fin de compte, tout ce qu’on partage avec ceux que l’on aime, ce sont des souvenirs, des moments plus ou moins marquants qui mis bout à bout créent le dessin d’une relation. Et c’est par le prisme de cette relation que nous percevons l’autre. Ce prisme est-il pour autant moins profond que celui d’une description psychologique précise et romanesque ? Évidemment, non. La profondeur d’un amour se crée justement dans les vides laissés par la description, il les remplit, les recouvre d’une douce chaleur englobante, un peu comme celle qu’on ressent en regardant le teint jauni d’une vieille photographie. Le souvenir, l’absence de souvenir, tout cela crée la complexité du sentiment celui qu’on ressent sans chercher à comprendre, celui qui tord la gorge et illumine le plexus, celui qui connecte au monde et nous laisse orphelin quand sa source est tarie.

Or, le voyage de Nana et Satoru est rempli de ces moments à la fois forts et insignifiants qui font la valeur d’une vie. Au fil des pages, le roman gagne en intensité dans un crescendo bouleversant. À passer tout ce temps aux côtés des deux comparses, on en vient à ne plus vouloir les quitter. Mais à force d’avancer dans le récit, une fatalité s’impose, les pages sont limitées et la fin inéluctable… On a beau ne pas vouloir y penser, c’est déjà trop tard, les dernières pages ont été tournées et la quatrième de couverture caresse déjà nos doigts avec respect. Alors c’est fini, le livre se referme. Il faut passer à autre chose, avancer. Pourtant l’histoire demeure en nous. Belle, forte, retentissante ! Elle compte dans nos cœurs, rappelle en nous le souvenir du voyage. Elle invite à l’aventure, nous chante les louanges du bonheur, pas celui qu’on a eu, l’autre, celui qui attend ! Alors, en route vers ce nouveau voyage, on apprend à chérir l’émotion douce-amère laissée par ce roman. Ce roman qui, avec l’innocence d’une plume à chat, parvient à traiter des sujets graves, tout en portant un regard tendre sur le monde.

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