Affabulation : La quiétude des bibliothèques
Une nouvelle journée commence. Une journée qui sera, comme beaucoup d’autres, consacrée uniquement à la correction de mon mémoire. Alors que je suis confortablement assis dans la Bibliothèque Nationale Française à Paris, je ressens un plaisir calme et relaxant que j’aime à appeler le plaisir de l’étude. Élève, je ne fus jamais studieux. Pourtant, c’est avec nostalgie que je me rappelle la douceur des bibliothèques. Sans doute que si j’avais connu les librairies dans ma jeunesse, je serais devenu un élève très consciencieux.
Aujourd’hui, je suis presque vieux. Ou du moins, je me sens âgé vis à vis de mon mode de vie. Et j’aime à sentir ce décalage. J’aime à croire que mon existence peut se faire en marge de celle de ceux qui courent pour oublier qu’ils se désagrègent dans le temps long. J’aime prendre mon temps, j’aime aussi en perdre, même si cela me cause parfois de grandes angoisses existentielles.
Mais en fait, ces peurs métaphysiques sont elles réellement effacées par le souffle de nos activités ? Multiplier les tâches courtes, les occupations rapides, nous permet-il réellement d’éclipser l’angoisse du temps qui passe ?
En investissant mon énergie dans ce que j’appelle de grandes œuvres, ne vis-je pas en contact ininterrompue avec une horloge écrasante et sans pitié ? Ne ferais-je pas mieux d’abandonner mon existence à la routine, au stresse et à l’aliénation utile de tout être humain qui accepte de s’investir entièrement à la tâche de prospérer aux côtés de ses semblables ? D’enrichir son patron pour grimper dans la hiérarchie sociale ? Cela pourtant, je l’ai déjà essayé et cela ne m’a rien apporté de bon.
Il ne s’agit pourtant pas pour moi de me couper totalement du monde, bien au contraire. Je veux y prendre part, m’entretenir avec lui, y planter mes racines et contribuer à son épanouissement. Mais si pour cela il faut me battre de manière sournoise, maîtriser le cœur des gens pour les plier en douceur à ma volonté, je ne souhaite pas le faire.
Vivre en intellectuel et en conteur, voilà la mission qui fait battre mon cœur. Et même si cette volonté me donne souvent le sentiment d’être un imposteur, je n’arriverais, je crois, jamais à y renoncer totalement. Même si ma tête tourne dans le vide et que mes pensées s’éparpillent aux quatre vents, j’existe pour le rêve et la beauté de pensées merveilleuses, d’illusions poétiques ou savantes qui élèvent l’humain vers des horizons sublimes et hors d’accès.
C’est dans ce monde éthéré que je veux créer ma place et rester. Puissent mes frères et mes sœurs m’assister dans cette tâche et puisse ma volonté les aider dans la leur. Et si mon rêve n’est qu’un leurre, j’espère me tromper assez longtemps pour en toucher l’essence afin que même déçu, je me sente repus pour, sans aigreur, partir vers de nouveaux ciels tapageurs.